Habiter avec l’eau en Cévennes : la croisée de la recherche et du dessin

Doctorante à IMT Mines Alès, Fabienne Errero effectue ses recherches sur les interactions entre environnement et société au sein du bassin versant des Gardons, dans les Cévennes. Pour cette architecte de formation, c’est l’occasion de redessiner les contours de son métier en y intégrant le lien entre l’architecture et l’eau. Dans le cadre de sa thèse, Fabienne Errero a réalisé des pensées-dessins, lui permettant de poser des idées et de construire sa réflexion. Le texte et les illustrations de cet article sont issus de ce travail, et sont signés par la chercheuse.

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# Cévennes

Par Fabienne Errero, doctorante à IMT Mines-Alès :

Cet article présente un travail de recherche-création réalisé durant ma thèse de doctorat à IMT Mines Alès. Au-delà du travail scientifique, l’architecte et illustratrice que je suis, mobilise bon nombre de « pensées-dessins », où le terme « dessin » peut englober divers pratiques (gribouillage, dessin d’observations, croquis, esquisses, etc.) favorisant la mise en mouvement d’une pensée visuelle.

La pensée-dessin exprime « un rapport physique au réel et à l’imaginaire : là où l’écrivain ressent et cherche à communiquer la beauté d’un spectacle ou le sens d’une idée à travers une formulation verbale, l’architecte perçoit et exprime cette beauté ou cette signification par la médiation du dessin » (Biasi, 2015, p981).
En ce sens, le dessin, au-delà de retranscrire ma pensée, accompagne la construction de celle-ci et participe ainsi à l’apprentissage de notre rapport au monde et aux autres.

Cinq pensées-dessins sont présentées, toutes sont accompagnées d’une légende (en bleu) qui regroupe quelques extraits d’échanges avec des acteurs du territoire ayant participé à des ateliers de restitution. Parallèlement, j’ai intégré ma propre vision et interprétation avec un titre et un texte explicatif.

Cette pensée-dessin pourrait s’intituler : « L’œil du chercheur ».
Elle s’adresse à tous : « habitants, scientifiques, politiques et enfants ». Elle représente le dépassement des limites planétaires « avec l’omniprésence de l’eau » et la zone critique : « on dirait une Terre vue par le petit Prince ! ».

« La demeure terrestre a ses limites »

La pensée-dessin représente la planète Bleue où l’eau domine et où les limites explosent. D’ailleurs, ses contours sont représentés en pointillés afin de schématiser l’idée d’une croissance exponentielle. Seulement, au regard des ères géologiques, les transformations engendrées par les humains représentent en quelques secondes beaucoup d’impacts. 12 grands axes schématisent les aiguilles d’une horloge pour nous indiquer un « tic-tac » urgent et la flèche dit « nous sommes ici ! ». Les axes sont aussi ces 9 limites planétaires définies par les objectifs du développement durable. Aujourd’hui, la 6ème limite, celle du cycle de l’eau douce serait franchie. Sur 1/9e de ce cercle, des immeubles multiformes, dessinés hors échelle, représentent la modernité.

Tout comme le trait, les couleurs parlent simplement. Le bleu de l’eau, le turquoise d’une couche d’ozone qui vire au vert jauni, chargé de particules et de petits points en suspension. Rouge, jaune, ocre, gris, rose ou parme se mélangent et grouillent, dans un flou qui s’étend vers un néant inconnu. Ce contraste de couleur s’intercale et grignote notre « cercle bleu ».

Que se passe-t-il désormais dans cette planète qui se redessine, se recompose et mute ?

Cette pensée-dessin pourrait s’intituler « Paradoxe ».
Elle représente le paradoxe de l’eau et la construction du paysage en juxtaposant ces oppositions. Les couleurs traduisent le « trop et le trop peu », « du bleu et du jaune, de l’eau et du soleil, le rouge évoque la souffrance », « le vert, la vie, les terrasses, cultures ». Les traits du dessin « représentent bien les constitutifs de l’espace Cévenol ».

« Extrêmes »

La Cévenne du trop et du trop peu d’eau, c’est dans ce territoire de moyennes montagnes que se situe cette recherche création. La pensée-dessin fait allusion à la structure paysagère et aux constructions traditionnelles Cévenoles. Par exemple, un mas typique, plus haut que large, sur lequel s’abat un « rideau » de pluie. La rivière est schématisée dans tous ses états, sinueuse, large, étroite et modifiée de mains d’humains au fil du temps. Elle peut être calme offrant un espace ludique de baignade, ou bien débordante et il convient alors d’être prudent.

Les couleurs sont vives et nombreuses, elles se fondent, se mélangent pour montrer l’hétérogénéité de l’eau : une eau dans tous ses états et multiforme. Le vert peut exprimer un bout de terre fertile comme une eau ressource. Le rouge représente les crues violentes, telle une eau en colère qui devient un risque. Le jaune marque la sécheresse, le manque et l’incendie. Évidemment le bleu représente la pluie et l’eau abondante. L’étude des trajectoires socio-écologiques met en évidence la résilience et la capabilité dont les sociétés peuvent faire preuve, mais il demeure difficile d’émettre des prospectives territoriales. C’est pourquoi, la pensée-dessin représente un premier plan flou et estompé suggérant un « espace-temps » en train de se faire, imprégné de son passé.

Cette pensée-dessin pourrait s’intituler « Circulades de l’eau ».
Elle symbolise les différents cycles de l’eau et « représente l’adaptation de l’Homme ». « Malgré toutes ces problématiques, l’Homme continue sa petite vie : il flâne, il joue, il travaille… et modifie les cycles de l’eau pour l’avoir au robinet ».

« La composition des mondes de l’eau »

Les savoirs scientifiques se sont structurés et façonnés tels des strates qui se superposent. De nombreux savoirs sur l’eau existent et s’entrecroisent pour étudier des environnements multiples et variés : des espaces urbains, ruraux, isolés, etc. Le cycle de l’eau est complexe, hybride, les actions de l’eau couplées à celles des humains, construisent des trajectoires socio-hydrologiques. Les « grouillots » sont ces petits personnages inscrits dans leur « bulle » ou dans les paysages représentés. Ils sont ces scientifiques aux postures variées (pluridisciplinaires, interdisciplinaires, transdisciplinaires), dont le champ de recherche est l’eau.

Le jeu des couleurs affirme les typologies constitutives de l’eau comme ressource, milieu de vie, risque ou encore vecteur de substances et de sédiments. Un robinet vient conclure et entourer le dessin, tel un grand point d’interrogation, dans lequel une minuscule goutte d’eau sort en marquant la problématique actuelle du manque d’eau.

Cette pensée-dessin pourrait s’intituler « L’insoutenable polymorphie de l’eau en Cévennes ».
« On se reconnait en Cévennes grâce à des indices : les montagnes, les pins, chevalement d’un puit de charbon, les cyprès des cimetières protestants, une usine, etc. et de l’eau partout ». Elle représente « l’importance de l’eau dans les cycles de la vie, la joie des habitants qui reçoivent les bienfaits de l’eau ».

« Où atterrir en Cévennes »

Cette pensée-dessin introduit la définition et la caractérisation du haut bassin versant des Gardons. En ordonnées, les trajectoires s’inscrivent dans le temps, ou plutôt les temps (le temps des cycles de l’eau, celui de l’histoire, celui des lois de la planification territoriale, etc.) et en abscisse, les trajectoires s’inscrivent également dans l’espace. Au centre, une ligne horizontale agrémentée par un cadre bâti esquissé brièvement, marque une limite du haut Bassin versant des Gardons, qui représente le passage de la plaine, vers le territoire composé de moyennes montagnes.

La pensée-dessin schématise quelques éléments à peine de l’environnement actuel de cette limite Cévenole (habitat individuels, mixtes, activités, patrimoine, etc). Des verbatims (extraits des entretiens), questionnent la définition même de l’eau et accompagnent le regard à suivre des flèches aux différentes orientations. La fluidité des formes représente les dynamiques d’interactions sociohydrologiques sous différentes temporalités. Elles se transforment en trajectoires au regard des échelles qui les encadrent, sans les contraindre. Quatre cadres sont répartis dans ces montagnes Cévenoles : ils matérialisent et positionnent des référentiels d’espace-temps pertinents et potentiellement éligibles pour atterrir dans ce vaste territoire afin d’y étudier ces trajectoires.

Cette pensée-dessin pourrait s’intituler « L’’eau nous raconte ».
Elle « est ouverte à tous avec sa richesse et sa poésie », elle « exprime le manque de l’eau dans le temps et l’espace » : « Les couleurs nous rappellent les saisons », « l’eau dessine un territoire, parfois laisse des traces importantes ». « Dans ce dessin, tout sort du cadre (même le dessin), le coffre est ouvert, les feuilles blanches, la porte ouverte, il y a beaucoup d’espoir ».

« Toutes ces petites histoires d’eau »

Cette pensée-dessin traduit quelques histoires d’eau qui m’ont été contées par des habitants de Saint Germain de Calberte. Désormais, la science vient toquer aux portes pour écouter ce que les habitants ont à dire mais également intégrer leurs savoirs. Ce lieu d’étude, tel un « refuge » a été minutieusement choisi, c’est pourquoi on retrouve ce cadre noir en référence à la pensée-dessin précédente.

Toujours avec quelques extraits de verbatims, l’eau est également montrée sous d’autres formes qu’une pensée fonctionnaliste et quantifiée, elle est poétisée afin d’ouvrir de multiples perspectives. D’une porte en bois, chaleureuse et accueillante, nous entrons dans un lieu composé de petites histoires de vie, de savoir-faire. Les teintes et les couleurs sont différentes des autres dessins, moins primaires, plus nuancées, pour montrer encore d’autres facettes de l’eau. Au-delà de données qualitatives, la pensée-dessin pourrait intégrer dans la forme de ses courbes des données quantitatives, et permettre de construire un objet frontière, propice aux échanges et à la discussion.

L’actualité scientifique de l’Institut Mines-Télécom.

Habiter avec l’eau en Cévennes : la croisée de la recherche et du dessin

Mots-clés :

« La demeure terrestre a ses limites »

« Extrêmes »

« La composition des mondes de l’eau »

« Où atterrir en Cévennes »

« Toutes ces petites histoires d’eau »

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